Salut les bombes ! ❤
J’ai eu la chance de pouvoir visiter l’exposition du MAD consacrée à Thierry Mugler juste avant qu’elle ne se termine.
L’exposition, intitulée Thierry Mugler, Couturissime, était unique, rare. Il y a en effet encore eu très peu de rétrospectives consacrées au créateur. En France, celle du Musée des Arts décoratifs de Paris était même une première. L’expo présentait pas moins de 140 tenues, pour certaines pour la première fois. Malheureusement, alors qu’elle s’inaugurait en septembre dernier avec la présence de Thierry Mugler lui-même, elle a connu la disparation du styliste, emporté en janvier de cette année.
Afin de rendre hommage à Thierry Mugler comme il faut sur Glowbal Fashion, j’attendais d’avoir visité son exposition. Maintenant que c’est chose faite, revenons brièvement sur sa biographie et décortiquons le style Mugler.
Habiter et habiller le corps
Thierry Mugler est né le 21 décembre 1948 à Strasbourg. D’origine bourgeoise, il s’échappe dès son plus jeune âge de ce milieu fermé par l’imaginaire et la pratique de la danse. Il commence le classique à l’âge de neuf ans et rejoint les ballets de l’Opéra du Rhin dès quatorze ans. Il trouve là le moyen de lier son imaginaire au monde réel, au travers de la scène, de ses jeux de lumière et de ses costumes. En parallèle de cette passion, Mugler suit des études d’architecte d’intérieur aux Arts décoratifs de Strasbourg.
Il s’installe à Paris en 1969 où il commence à vendre ses dessins à des fabricants. Sa première expérience directe de la mode se fait en upcyclant des pièces chinées aux puces, qui deviennent ses costumes du quotidien. De fil en aiguille, il expose ses créations dans sa première boutique parisienne, Gudule, et il devient styliste indépendant au service de plusieurs marques de prêt-à-porter parisiennes, milanaises ou encore londoniennes.
Mugler conçoit sa première collection en 1973, affichant déjà son style si caractéristique. Sa marque Café de Paris est lancée dans la foulée, renommée Thierry Mugler peu de temps après. Son nom est pour de bon associé à ses créations. Il acquiert une renommée internationale dans les années 80, poursuit sa route du succès dans les années 90, crée ses premières collections de Haute Couture sur l’invitation de la Chambre syndicale de la Haute Couture. Bernard Arnault (actuel PDG du groupe LVMH) lui propose même de reprendre la direction artistique chez Dior, offre qu’il décline. Il fait ses propres choix de carrière et décide avec qui travailler : il signe les costumes de la première tournée de Mylène Farmer mais refuse de faire ceux de la tournée Dangerous de Michael Jackson. Au début des années 90 il se lance également dans l’industrie du parfum. Son best-seller Angel, au flacon en forme d’étoile, sort en 1992.
Le créateur quitte la direction de sa maison de mode en 2002 pour se consacrer à d’autres projets créatifs, tels la photographie et le spectacle. Il reste cependant impliqué dans la parfumerie jusqu’en 2013. Il se fait appeler Manfred à partir de cette année-là, comme pour se détacher et laisser son patronyme de naissance associé à tout jamais à sa marque. Un nouveau chapitre de sa vie s’ouvre. En plus d’un changement de prénom, il modifie son apparence en pratiquant le culturisme et en subissant des chirurgies plastiques. Son visage devient celui d’un boxeur au nez cassé. Il est l’architecte de son corps et de sa vie de la même façon qu’il l’était pour ses créations couture. Ce rapport très discipliné au corps est en quelque sorte la signature de son style.
Hyper-féminin
De sa passion pour la danse on retrouve dans le travail de Thierry Mugler l’expression et la discipline du corps, ainsi qu’un goût prononcé pour la scénographie. Les défilés sont des spectacles à part entière, ils ont parfois lieu dans de véritables salles de spectacle comme le Zénith en 1984 (plus de 6000 spectateurs dont une grande partie a payé sa place comme pour un concert) et le Cirque d’Hiver en 1995. Il appartient à une générations de couturiers, avec Alexander McQueen et John Galliano, hissant la mode au rang d’art complet.
De ses études en architecture on retrouve, à l’instar de son ami Azzedine Alaïa qu’il encourage à se lancer, une approche très structurelle et sculpturale du vêtement. Les vêtements sont théâtraux, prennent des formes parfois inédites, révolutionnaires, souvent à contre-courant des codes de la Haute Couture. Il innove dans les coupes comme dans les matières, usant de cuir, de vinyle comme de plumes, de métal comme de dentelle, osant toutes les associations.
La femme Mugler possède de multiples facettes, tantôt guerrière, sirène, catcheuse, danseuse ou bikeuse. Elle est aussi robotique, être humain augmenté. Dans tous les cas elle est un être hyper-féminin. Le corps est exacerbé à l’aide de rembourrages et de structures. La silhouette est très stylisée, les pièces épousent les formes tout en les remodelant : épaules et hanches accentuées, taille marquée, poitrine bombée, jambes élancées.
La femme Mugler est animale. Le couturier imagine tout un bestiaire de créatures fantastiques, empruntant à la nature sans copier. Tout n’est en effet qu’inspiration, rien n’est copié-collé, tout est inventé. La femme Mugler devient papillon à plumes, oiseau à écailles, corbeau-mante religieuse, serpent ou méduse. Chaque création, notamment en Haute Couture, est un travail d’orfèvre. La plus emblématique ? La robe Chimère de la collection Automne/Hiver 1997-98, dont l’alliage de matières, textures et couleurs laisse bouche bée (au centre ci-dessous). C’est d’ailleurs cette silhouette qui a été sélectionnée pour la promotion de l’exposition du MAD et qui apparaît dès l’entrée.

Bien que le succès ait été au rendez-vous, le style ne fait pas l’unanimité, certain.e.s y voient des caricatures dégradantes. Mais s’il y a bien l’utilisation d’un grand nombre de stéréotypes (avec par exemple des collections inspirées par les cowboys, les animaux de la savane ou encore par l’automobile), c’est bien à l’avantage de la femme, qui se voit dotée d’un vêtement-armure sublime et charismatique. À moins que ce ne soit une arme-vêtement ?
Les silhouettes de Thierry Mugler convoquent une mythologie de la femme avec ses grandes figures historico-culturelles : la Madone, la Vénus, la sirène et les Amazones pour les plus évidentes sur le plan iconographique (ici un buste surgissant d’un coquillage, là un visage coiffé d’une auréole de cristaux), mais aussi la figure de la sorcière et celle de la féministe. Des femmes incarnant un certain pouvoir, frondeuses. La femme Mugler est une superwoman, une héroïne aux milles visages qui adopte les traits de quiconque ose se fondre dans sa peau. Les créations du couturier siéent à merveille aux héroïnes de l’époque, les supermodels et autres glamazones comme il les appelait lui-même (parmi lesquelles Naomi Campbell, Adriana Karembeu, Eva Herzigova, Jerry Hall, Estelle Lefébure et Cindy Crawford).
Mugler après Mugler
Après le départ de Thierry Mugler de sa marque en 2002, la maison s’endort un peu. Les années 2000 ne sont pas l’époque des défilé-spectacles et la Haute Couture subit l’essor de la fast fashion de plein fouet. Acquise par le groupe Clarins en 1997, le volet parfumerie continue sans interruption avec le concours du créateur jusque 2013, tandis que la direction artistique de la mode passe entre les mains de plusieurs stylistes (notamment Rosemary Rodriguez en 2008, Nicolas Formichetti en 2011, David Koma en 2013). Il faudra attendre la fin des années 2010 pour que la marque retrouve un engouement similaire à celui d’antan, avec l’arrivée fin 2017 du designer Casey Cadwallader. Ce dernier enrichit l’héritage du fondateur de la maison, reprenant ses codes en les encrant dans le contemporain.
La super-femme de Thierry Mugler retrouve aujourd’hui toute sa place et sa légitimité. Le contexte post-MeToo y est sans doute un peu pour quelque chose. Le féminisme a davantage évolué ces dernières années, les femmes gagnent en assurance, de plus en plus d’entre elles oseraient les looks Mugler (sans oublier la communauté queer !). À côté de ces mutations culturelles, les années 90 inspirent la mode actuelle. Notre société est en cruel manque de magie. Thierry Mugler incarne parfaitement cette magie dont nous avons besoin.
L’exposition Thierry Mugler, Couturissime tombait à pic pour réviser ce pan merveilleux de l’histoire de la mode et faire le lien entre passé et présent.
Manfred/Thierry Mugler est décédé de mort naturelle le 23 janvier 2022.
L’au-delà a receuilli un sacré Angel !
Avez-vous eu l’occasion de visiter cette exposition ?
Quelles sont vos créations préférées du créateur ?