Salut les bombes ! ❤
Depuis mon envie d’écrire sur et pour la mode, j’ai toujours désiré écrire quelque chose en hommage à celui qui est sans doute le premier créateur de mode que j’ai aimé. Hommage d’autant plus important quand celui-ci a eu la bonne idée de se suicider quelques mois après que je l’eus découvert, en ce 11 février 2010. C’est en grande partie grâce à lui que ma passion pour la mode a débuté.
Six ans plus tard, après 12 collections (la dernière présentée le 21 février dernier à la Fashion Week de Londres), je tiens à revenir sur son royaume du vêtement sombre et merveilleux.

Article hommage à Lee Alexander McQueen, à sa personne et à son travail, mais aussi à sa brillante relève. Décryptage d’une maison de prêt-à-porter empreinte d’une aura punk et résolument couture.
Alexander, une âme d’artiste

Il est bon de souligner qu’Alexander McQueen n’est pas un créateur de mode à proprement parler, on peut même dire qu’il est carrément hors-circuit mode. Ses vêtements sont plutôt des medias véhiculant le fond de son être que des pièces tendances.
Davantage metteur en scène du vêtement, tour à tour et tout à la fois faiseur de costumes, conteur d’histoires, scénariste d’épouvante et de magnificence, poète des étoffes et de la coupe, McQueen nous livre son univers tout entier, états d’âmes plus souvent sombres qu’heureux y compris. Il nous raconte une histoire, la sienne, aux travers de ses vêtements et de leur mise en scène.
Ses collections sont fascinantes de beauté, elles sont poétiques mais, comme dans les vers du Dormeur du val, la beauté réside même dans l’aversion. Ses collections sont parfois inquiétantes, voire angoissantes… Malaise imminent à chacun de ses défilés. Malaise lors du défilé printemps-été 1997, où une femme très dénudée à la plastique athlétique surgit d’un escalier, ses mouvements entravés par un mécanisme lui liant genoux et coudes, passant devant les spectateurs médusés et/ou fascinés. Cette femme a l’air d’une esclave, sa peau noire n’est d’ailleurs pas sans rappeler la traite des Noirs par les européens. Si l’on prend ça sous l’angle de la mode, la tenue interroge vraisemblablement la façon dont sont vus et traités les mannequins et les femmes.
Comme Jean-Paul Gaultier, on lui a attribué le sobriquet d’Enfant Terrible, mais on l’appelle également, plus révélateur, le « hooligan de la mode ». Et pour cause : McQueen use parfois de violence, cette référence à l’esclavagisme en est un exemple, pour présenter ses collections parfois construites autour d’une thématique grave.
Des thèmes puissants
La collection de l’automne/hiver 1995-1996 est de celles-là. Elle s’intitule Highland Rapes (« Viols en Ecosse » en VF) : tout un programme macabre, ponctué de silhouettes de femmes à la poitrine dénudée, aux robes déchirées et comme souillées d’urine, comme si on avait essayé de les attoucher ou de les violer avant qu’elles n’arrivent sur le podium. Tollé dans la presse, McQueen est dépeint par les rédactrices comme un monstre misogyne faisant l’apologie du viol.
Le génie mal compris expliquera par la suite qu’il souhaitait en fait dénoncer les atrocités commises sur les femmes écossaises par les anglais durant les XVIIIème et XIXème siècles.
Lee Alexander a le goût de la provocation et de la subversion, il le prouvera à maintes reprises durant tout son parcours, que ce soit dans sa propre maison ou en faisant polémique avec ses collections pour l’illustre maison française Givenchy, pour qui il fera notamment défiler des créatures-zombies et des femmes dépecées par un serial killer. Même quand il propose des robes romantiques, c’est sur fond d’images tout droit être sorties d’un film d’horreur que les mannequins déambulent.
Le goût pour la provocation
Autre défilé dérangeant, celui pour la collection printemps-été 2001, où les mannequins évoluent dans une énorme cage faite de verre et de miroirs. Pour le final une gigantesque boîte s’ouvre et laisse voir une femme nue portant un masque la reliant à des tuyaux. Une vision qui n’est pas sans rappeler le travail du photographe Peter Witkin. Des papillons de nuit et autres lépidoptères surgissent également de cet espèce de sarcophage. Le show est époustouflant et tient de la performance artistique. Les mannequins remplissent également un rôle, elles jouent aux actrices lors des défilés McQueen. Lors de ce défilé elles s’observent dans les miroirs, s’y cognent parfois, à l’instar de Kate Moss qui ouvre le show. Elles titubaient parfois pendant le fameux défilé sur le viol, ou au contraire cherchaient à provoquer le public.
Le créateur voue une véritable histoire d’amour avec la provocation. Bien entendu la religion n’y échappe pas, par exemple avec cette mise en scène de la collection automne-hiver 1996-1997 dans une église, sur fond d’orgue et de chants religieux. Pour sa collection estivale de 1998, alors que la première partie du show présente des créatures à colonnes vertébrales monstrueuses greffées sur leurs vêtements, la seconde met en scène une pluie s’abattant sur des mannequins vêtus de blanc. Les vêtements deviennent peu à peu transparent, dévoilant la nudité des corps.



Figure punk
Dès ses débuts en 1993, il présente l’un de ses vêtements les plus (dé)culottés. Il s’agit du bumster, un pantalon taille ultra basse laissant apparaître la raie des fesses. Les modèles, hommes comme femmes, défilent les mains parfois plaquées sur leur pubis pour le cacher, laissant le loisir de regarder la quasi-intégralité du côté pile. Sa manière de dire « fuck the system ».
McQueen est l’un des portes-drapeau de la culture punk, dont la capitale londonienne est encore aujourd’hui fortement influencée. Il est, avec Vivienne Westwood et John Galliano, la figure de proue d’une culture punk qu’il immortalise au travers de ses collections. Le tartan et le kilt l’inspirent, également de par ses origines écossaises.
L’avant-gardisme
L’époque victorienne, la Grèce et la Rome antiques l’inspirent également. Des références au passé, mais c’est bien vers le futur que son regard se tourne, comme sa collection « religieuse » interrogeant la mort, l’avenir certain de tout être vivant. La technologie et l’innovation élisent domicile dans beaucoup de ses shows. Alexander McQueen a en effet un côté avant-gardiste et son penchant pour la théâtralité l’a poussé vers les nouvelles techniques et technologies.
Le dernier défilé présenté de son vivant fut diffusé en live-stream. Les moyens techniques mis en place étaient de taille, avec deux rails où caméras montés sur des bras mécaniques gigantesques se mouvaient pour filmer le show de divers angles.

La présentation de la collection automne-hiver 2006/2007 fut marquée par un hologramme de Kate Moss, amie du créateur. Alexander l’a soutenue lors de son scandale impliquant quelques rails (de coke, pour le coup). L’apparition fantomatique du célèbre top model, clôturant un défilé de veuves écossaises en hommage aux survivantes de la bataille de Culloden de 1746, tient de l’ordre du divin.
Plus tôt dans sa carrière, pour la collection été 1999, l’actrice Shalom Harlow se faisait asperger de peinture par des robots. Au début de ce même défilé, c’est la sportive Aymee Mullins qui faisait événement avec ses prothèses aux jambes, véritables bijoux sculptés.
Spectaculaires sont chacun de ses défilés, celui intitulé Plato’s Atlantis (« L’Atlantide de Platon ») marque une sorte d’apothéose. Paradoxalement, c’est cette dernière collection féminine présentée de son vivant qui est la plus optimiste. Beaucoup de critiques la décrivent comme la collection la plus aboutie, la plus créative et la plus grandiose. Elle dépeint un monde utopique où technologie et nature sont réunies en parfaite symbiose. L’harmonie entre les tissus et les imprimés, les matières et les coupes, l’organique et le technique, est telle que l’on pourrait croire le couturier enfin délivré de ses démons.
Fin tragique et relève
Son suicide et sa véritable toute dernière collection présentée diront plutôt le contraire. Pour le prêt-à-porter féminin de l’été 2010 nous avons une cinquantaine de silhouettes exaltant d’une beauté sincère dans lesquelles le seul aspect inquiétant réside dans leur bizarrerie fascinante. Pour le prêt-à-porter masculin de la saison suivante, nous avons en revanche quelques morts-vivants rôdant dans un ossuaire, certains encagoulés, les os à vif, ou plus évocateur, revêtus d’un imprimé « corde ».
Depuis le suicide de McQueen, Sarah Burton est à la tête de la maison, en digne héritière de son mentor. À ses côtés depuis une quinzaine d’année, Sarah a accompagné Alexander depuis sa collection polémique Highland Rapes.
Si on devait comparer la maison Alexander McQueen à un royaume, Lee serait son roi, et Sarah Burton sa reine régente après avoir été Main du roi. La passation du pouvoir s’est faite naturellement, Burton, femme discrète au style épuré (étonnant quand on voit le travail qu’elle réalise pour la marque extravagante), ayant secondé et participé étroitement à l’élaboration des collections du créateur-fondateur. Dans une interview faite pour Vogue Paris, elle déclare qu’elle « [approfondissait] son travail de recherches » et qu’elle « [terminait] ses phrases en quelque sorte ».
L’ADN McQueen
L’héritage de la maison de mode est respecté par Sarah Burton, on peut même dire qu’elle a su lui donner une réelle identité stylistique. C’est comme si elle avait réussi à décrypter les collections précédentes afin d’en dégager les codes et son ADN.
Tout ce que McQueen a touché semble être beauté, et même quand ses thèmes sont glauques ou graves, ses vêtements sont beaux quoi qu’il arrive. La beauté qu’il dépeint est souvent lugubre et macabre mais n’en reste pas moins pure, comme s’il en extrayait l’essence. C’est sans doute son côté Haute Couture qui confère à ses créations une grâce et une somptuosité de cet aura. Une pièce signée Alexander McQueen, c’est quelque chose d’avant tout très esthétique.
Ce n’est pas Isabella Blow qui dirait le contraire. La rédactrice de mode (elle aussi s’est suicidée) est celle qui lança la carrière du prince ténébreux de la mode. Dans le documentaire Alexander McQueen and I, elle dit qu’elle n’avait jamais vu des vêtements se mouvoir de cette façon lorsqu’elle assista à son tout premier défilé. Ceux-ci bougent en effet d’une manière très particulière, semblant prendre corps avec les personnes qui les arborent. La théâtralité chère au Qing réside en effet en premier lieu dans ses œuvres d’art portables (si on a la force de les porter, du moins). C’est quelque chose que la nouvelle tête de la marque a bien compris, en épurant ses défilés afin de mettre plus encore en valeur les vêtements.


L’ADN d’Alexander McQueen, c’est celui d’une femme masochiste mais loin d’être soumise, une femme forte et conquérante, libre de porter ce qu’elle souhaite. Sarah Burton développe cet ADN avec brio aux travers de chacune des silhouettes qu’elle imagine, reprenant par ailleurs les sources d’inspiration du fondateur de la maison. De la nature à la technologie, en passant par des guerrières vêtues de cuir et d’or et du gothique romantique, la femme Alexander McQueen s’émancipe dans toutes ses facettes. Moins polémique mais sans perdre son aura d’étrangeté fantastique.
La nouvelle reine du royaume voit chacune des ses collections couronnée de succès, comme la toute dernière, celle de l’hiver 2016/2017, semblant tout droit sortie d’un conte merveilleux. Les vêtements, accessoires et mise en beauté sont empreints d’une féerie douce dans la forme mais dont le fond interroge un sujet plus sordide, la mort.



Des symboles utilisés par les peintres de Vanités ; mais aussi par Alexander McQueen lui-même pour des collections précédentes ; habillent les pièces : papillons, fleurs, montres, tout autant de signes témoignant du temps qui passe. Les objets représentés dans les Vanités imagent la fragilité de la vie, son caractère éphémère et le triomphe de la mort. Mais si la mort triompha bien du corps de l’Enfant terrible, son âme domicilie toujours au sein de ses vêtements. De la même façon qu’il avait glissé des mèches de ses cheveux dans certains d’eux…
Alexander Lee McQueen aura été son propre hooligan, son propre kamikaze, mais son processus artistique perdure…
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J’en profite également pour rendre hommage à Isabella Blow, celle à qui on doit sans doute la carrière phénomène du couturier et qui a eu une fin tout aussi tragique que lui. À sa mère décédée juste avant son suicide, ce qui fut apparemment l’une des causes de cet acte terrible. À toutes les femmes McQueen, celles qui revêtent ses vêtements et les font vivre de la meilleur des façons, théâtrale, de Daphne Guinness à Lady Gaga, de Kate Moss à Björk, de Céline Dion à Kate Middleton, et même le disparu David Bowie, avec son costume imprimé du drapeau Union Jack, signé du créateur.
Sources : Interview de Sarah Burton dans Vogue Paris, n° 925, Mars 2012. Documentaire Alexander McQueen and I.
2 commentaires sur “Longue vie à Queen Alex !”